Pourquoi avons-nous encore peur des serpents ? Apport de la psychologie évolutionniste à la compréhension de certains biais comportementaux (2024)

1Dans cet article, nous allons nous intéresser à des biais comportementaux qui sont liés à la longue histoire évolutive de notre espèce; des biais qualifiés de phylogénétiques comme la peur des serpents et autres animaux dangereux ou encore l’intérêt pour la nourriture sucrée et riche en gras. Nous nous penchons sur la question générale de savoir pourquoi certains biais, dans nos sociétés modernes occidentales, influencent toujours notre façon de traiter l’information. Le cadre théorique de référence des travaux rapportés est celui de la psychologie évolutionniste – discipline assez peu diffusée en France, et souvent mal connue (Bonin, 2017), que nous souhaitons donc présenter ici brièvement dans le cadre de certains biais comportementaux.

2D’aucuns ont peur des serpents, beaucoup plus que des voitures ou des prises électriques alors que, dans nos sociétés modernes, ces dernières sont bien plus dangereuses que ces premiers (Cartwright, 2001; Clasen, 2017). La phobie des serpents est, parmi les phobies, l’une des plus répandues. Dans le domaine de la nourriture, la présentation de la photographie d’un cheeseburger déclenche l’envie d’en consommer chez de nombreux enfants, adolescents et adultes! Les chaînes alimentaires comme McDonald’s, Quick ou Burger King n’ignorent rien des goûts spécifiques de leurs clients et elles se portent financièrement très bien (par exemple, McDonald’s a affiché plus de 27milliards de dollars de chiffres d’affaire en 2015 [1]). Être rejeté socialement est une expérience désagréable et des travaux ont montré qu’au niveau cérébral, l’exclusion sociale activait des réseaux neuronaux qui sont également impliqués lorsqu’on ressent de la douleur physique (Eisenberger, Lieberman, & Williams, 2003). Mais pourquoi est-on autant sensible à l’exclusion sociale? Certains endroits ou objets sales nous dégoûtent et lorsqu’on perçoit certaines personnes qui nous semblent malades, nous avons tendance à nous en écarter (Ryan, Oaten, Stevenson, & Case, 2012): pourquoi?

3Classiquement la psychologie scientifique s’intéresse au comment des phénomènes psychologiques. Une discipline de la psychologie relativement récente s’intéresse au pourquoi[2]: la psychologie évolutionniste [3] (e.g., Bonin, 2017; Buss, 2014; Workman & Reader, 2014). La psychologie évolutionniste rend compte de nombreux de nos comportements quotidiens en faisant référence à notre passé ancestral. Nous sommes tous des descendants de chasseurs-cueilleurs qui ont réussi à survivre dans des environnements hostiles (Bonin, 2017) et notre cerveau a été façonné par les problèmes adaptatifs rencontrés par nos ancêtres durant le passé ancestral (Buss, 2014). Ainsi, généralement les psychologues évolutionnistes partent des pressions sélectives [4] qui ont pu façonner le comportement dans le passé ancestral afin d’émettre des hypothèses testables concernant les comportements présents (de Waal, 2002). Une telle démarche conduit souvent à l’élaboration d’hypothèses, comme l’a exprimé DeBruine (2009), auxquelles beaucoup de chercheurs «non-évolutionnistes» «n’auraient jamais pensé».

4Il est généralement admis que les biais cognitifs correspondent à des distorsions dans le traitement d’une information. À l’origine des biais, il y a des mécanismes qui prennent certaines informations en entrée (inputs), des éléments externes tels que des caractéristiques liées à des stimuli (couleur, position dans l’espace…) et/ou des dispositions internes (e.g., motivation) et produisent – suivant certaines computations précises – certaines sorties comportementales (outputs).

5À la suite d’expériences vécues à certains moments de l’existence, comme à l’adolescence, d’aucuns peuvent développer des addictions (e.g., pour la cigarette ou pour des drogues plus dures comme l’héroïne). Destravaux ont montré que les personnes dépendantes à des substances manifestaient envers elles des biais perceptifs. Ainsi, des fumeurs comparativement à des non-fumeurs, traduisent un biais attentionnel envers des scènes qui mettent en jeu des cigarettes: ils les regardent plus longtemps que des scènes contrôles et orientent leur regard plus facilement vers elles (Mogg, Bradley, Field, & De Houwer, 2003). Aussi les fumeurs manifestent-ils un biais attentionnel envers leur marque de cigarettes préférée (e.g., Marlboro; Domaradzka & Bielecki, 2017). Les personnes anxieuses ou déprimées expriment aussi des biais de traitement: les premières détectant par exemple mieux la colère que la joie dans des visages schématiques (Matsumoto, 2010) que des personnes moins anxieuses; les secondes maintenant plus leur attention sur des stimuli négatifs que des personnes non-déprimées (Caseras, Garner, Bradley, & Mogg, 2007). Nous défendons ici que certains biais comportementaux sont dus à l’histoire évolutive de notre espèce, et ce sont ces biais qui nous intéressent ici. Nous allons illustrer leur existence dans le cadre de différents domaines tels que la prédation (peur des serpents et autres animaux dangereux), la nourriture (intérêt pour la nourriture riche en gras et sucrée), l’exclusion sociale et la contamination (peur de tomber malade). Afin de fournir un cadre conceptuel aux différentes études présentant différents biais phylogénétiques, nous présentons dans la section suivante un certain nombre de concepts-clefs de la psychologie évolutionniste.

6La psychologie évolutionniste est une discipline relativement récente. John Tooby (anthropologue) et Leda Cosmides (psychologue) sont les chercheurs qui ont le plus fortement contribué à son développement et à son implantation en tant que discipline scientifique dans le paysage académique (Tooby & Cosmides, 1992, 2015). Toutefois, Darwin (1809-1882) peut être considéré comme le premier psychologue évolutionniste (Buss, 2014, 2016) en raison de son annonce prophétique de la psychologie évolutionnaire (ou d’une «psychologie conduite sous l’éclairage de l’évolution») dans L’origine des espèces (1859).

7L’idée-force de la psychologie évolutionniste est que le cerveau, comme d’autres organes du corps (le cœur, les reins), est le fruit de l’évolution: il a été façonné par la sélection naturelle (Darwin, 1859) et sexuelle (Darwin, 1871). La psychologie évolutionniste développe une conception modulaire de l’esprit-cerveau. Contrairement à l’acception «fodorienne» des modules qui renvoie à des critères précis (e.g., encapsulation, automaticité, irrépressibilité) (Fodor, 1986), la notion de module en psychologie évolutionniste renvoie à des spécialisations fonctionnelles (Barrett, 2015; Barrett & Kurzban, 2006; Faucher & Poirier, 2009) qui ont permis de résoudre des problèmes adaptatifs rencontrés dans les environnements ancestraux comme se protéger des prédateurs, trouver de la nourriture et de l’eau potable, reconnaître ses proches, trouver un partenaire sexuel ou de coopération, identifier les resquilleurs… Ces modules [5] sont le fruit de la sélection naturelle (et sexuelle), des héritages de l’évolution, et l’esprit-cerveau humain n’est donc pas une table rase (Pinker, 2005).

8Dans la mesure où la sélection naturelle (et sexuelle) est l’édifice théorique sur lequel repose la psychologie évolutionniste, nous présentons brièvement cette théorie initialement proposée par Darwin (1859).

9Trois aspects sont nécessaires pour qu’il y ait sélection naturelle: la variation (au sein d’une espèce les individus diffèrent entre eux, par exemple en ce qui concerne la taille, la pilosité…), la transmission de la variation à la génération suivante (héritabilité), et la reproduction différentielle (principe de sélection, e.g., certains organismes possèdent une variation qui leur permet de se reproduire davantage que les autres dans un environnement donné). Comme l’exprime Raymond (2012): «Ces trois ingrédients, variation, transmission et reproduction différentielle, permettent à la sélection naturelle d’opérer à chaque génération.» (p.10). Prenons tout d’abord la variation. Il existe parmi les descendants des variantes pour un certain nombre de traits physiques ou psychologiques. Ensuite, pour qu’une sélection opère, les traits qui varient doivent être héritables. Enfin, parmi les différentes variantes d’un trait (e.g., la longueur du bec chez une espèce d’oiseau), celle qui permet de mieux survivre – et in fine de mieux se reproduire – au sein d’un écosystème donné (e.g., un bec plus fin qui permet de mieux saisir de petites graines) a une probabilité plus élevée d’être transmise aux descendants, et de générations en générations, de devenir plus fréquente au sein d’une population donnée, c’est la sélection naturelle. Pour Dawkins (2003), la sélection naturelle intervient au niveau des gènes, et les organismes ne seraient que les véhicules des gènes. Certains traits permettent donc d’accroître le succès reproducteur: la valeur sélective dénommée aussi la fitness – la fitness[6] étant une mesure théorique qui renvoie à la capacité reproductive d’un individu.

10La sélection sexuelle ne concerne que la reproduction et est considérée comme distincte de la sélection naturelle mais complémentaire. Des traits spécifiques peuvent se transmettre à la descendance car ils sont préférés par les membres du sexe opposé (e.g., la queue du paon) – on parle de sélection intersexuelle – ou bien parce qu’ils permettent de gagner plus facilement la compétition au sein des membres du même sexe pour l’accès aux membres du sexe opposé (e.g., les bois du cerf) – on parle de sélection intrasexuelle.

11Nous avons, dans notre cerveau, des adaptations qui correspondent à des mécanismes spécialisés qui servent à résoudre des problèmes adaptatifs [7] tels que trouver de la nourriture, séduire un partenaire, éviter la contamination par des agents pathogènes. Comme l’expriment Maner et Kenrick (2010): «les adaptations sont des mécanismes psychologiques et comportementaux mis en œuvre par l’évolution qui remplissent des fonctions spécifiques ultimement reliées au succès reproducteur.» (p.111). La notion d’adaptation est souvent illustrée par la métaphore du couteau suisse (Tooby & Cosmides, 1992): les adaptations sont comme les éléments d’un couteau suisse qui chacun remplit une fonction particulière comme l’élément «tire-bouchon» ou bien l’élément «ouvre-boîte». Métaphoriquement toujours, les adaptations sont au cerveau ce que les applications sont au smartphone!

12Les psychologues évolutionnistes affirment souvent que notre cerveau fonctionne encore comme à l’âge de pierre (Miller & Kanazawa, 2008; Orians, 2014), et un slogan de cette discipline pourrait être: «même si nous vivons au XXIe siècle, nous avons un cerveau de l’âge de pierre tout comme nous avons des mains de l’âge de pierre et un pancréas de l’âge de pierre» comme énoncé par Miller et Kanazawa (2008). L’expression «âge de pierre» est en grande partie utilisée dans un sens métaphorique, et aussi, parce qu’elle est largement évocatrice d’un passé très lointain qui correspond plus ou moins au Pléistocène qui est une période sur les temps géologiques qui débute il y a 2.6millions d’années et se termine vers 11,000ans (Raymond & Thomas, 2016) et qui est la période la plus cruciale de l’évolution humaine (Lents, 2018). Notre espèce homo sapiens a passé quasi 99% de son histoire évolutive en petits groupes nomades de chasseurs-cueilleurs. L’environnement [de la savane africaine durant le Pléistocène] et le style de vie «chasseur-cueilleur» a parfois été dénommé «l’environnement de l’adaptation évolutionnaire» (en anglais: Environment of Evolutionary Adaptedness, EEA) (Rosano, 2013; Stewart-Williams, 2018). Toutefois, chaque adaptation a son histoire évolutive unique, et donc son propre EEA, comme le précise Rosano (2013). Tooby et Cosmides (1992) ont parlé de l’EEA comme d’un «composite statistique des pressions sélectives qui se sont produites durant la période d’évolution d’une adaptation». Pour Buss (2015), l’EEA d’une adaptation correspond aux problèmes adaptatifs qui sont responsables de son façonnage sur de longues périodes évolutives. La notion d’EEA est épineuse (Raymond & Thomas, 2016; Stewart-Williams, 2018), mais il faut retenir qu’il ne s’agit pas d’une période précise ou d’un endroit précis mais bien plus des forces sélectives en jeu dans l’élaboration des adaptations. Ainsi, certaines adaptations, comme la vision chez l’être humain, se sont mises en place pendant des périodes temporelles situées bien en amont du Pléistocène, et pour d’autres, comme la digestion du lait au sein de certaines populations humaines, l’adaptation à l’altitude (Faurie & Raymond, 2016), ou encore la plongée en apnée prolongée chez les Bajau (Ilardo et al., 2018), elles sont beaucoup plus récentes dans notre histoire évolutive. Les biais que nous allons présenter dans les sections suivantes peuvent résulter d’adaptations ayant des EEA très différents.

13Une distinction importante en psychologie évolutionniste est celle entre les explications «ultimes» et explications «proximales». Les explications proximales se focalisent sur le «comment» d’un comportement – les causes immédiates – tandis que celles ultimes concernent le «pourquoi» – les causes lointaines – c’est-à-dire la fonction de ce comportement en termes de survie et de reproduction. Pour illustrer, prenons les relations sexuelles. Les individus ont des relations sexuelles car ils éprouvent du plaisir lorsqu’ils en ont (explication proximale), mais de façon ultime, avoir des relations sexuelles a été sélectionné par l’évolution car cela a permis d’avoir des enfants. Un autre exemple dans le domaine de la mémoire épisodique. Il a été montré que nous retenions mieux les mots qui renvoient à des entités animées (e.g., bébé, lion) que ceux qui renvoient à des entités inanimées (e.g., montagne, cailloux) (Bonin, Gelin, & Bugaiska, 2014; Nairne, VanArsdall, Pandeirada, Cogdill, & LeBreton, 2013; voir Nairne, VanArsdall, & Cogdill, 2017 pour une synthèse). Une explication ultime de l’effet animé en mémoire est que les animés correspondent le plus souvent à des proies, ou bien à des prédateurs ou encore à des congénères qui ont plus d’importance en termes de fitness que les inanimés (Nairne et al., 2017). Une explication proximale est, par exemple, que les mots animés captent plus facilement l’attention que les inanimés (Bugaiska, Grégoire, Camblats, Gelin, Méot, & Bonin, sous presse). Dans les sections suivantes, nous allons nous focaliser sur les aspects ultimes de certains biais de traitement. Les biais, dans une perspective évolutionnaire, ne sont pas envisagés comme des «défauts de conception» (Haselton, Nettle, & Andrews, 2015). Au contraire, ils se manifestent dans le comportement car ils correspondent au fonctionnement même de certaines adaptations dont ils révèlent certaines caractéristiques. La constellation d’adaptations que nous possédons façonnent littéralement notre pensée (Barrett, 2015), notre présent perceptif. Différentes adaptations traitent de manière privilégiée certaines informations – celles qui sont relatives à la survie et à la reproduction – ce qui permet d’anticiper que nous devrions percevoir (e.g., la nourriture, des prédateurs, des objets contaminés), apprendre et mémoriser (e.g., la peur des serpents, des araignées), transmettre certaines informations (e.g., des ragots) mieux que d’autres. Autrement dit, les informations n’ont pas toute la même importance, les plus importantes pour le système cognitif sont celles qui ont permis au fil des générations d’accroître la fitness. Et en effet c’est ce que révèlent différentes études expérimentales que nous allons désormais présenter dans les sections suivantes.

14Nombreux sont les adultes qui, encore au xxiesiècle, ont peur des serpents alors même qu’ils n’en rencontrent guère dans leur vie quotidienne. Selon certaines statistiques disponibles aux États-Unis, le risque de périr d’un accident de voiture pour une personne née en 2007 était de 1 sur 88 (Clasen, 2017). Comparativement, le risque de mourir d’un contact avec des serpents est de 1 sur 552522 (selon le National Safety Council, 2011-35-36), ce qui exprimé en pourcentage correspond à 1.14% pour les voitures et à 0.00018% pour les serpents! Toutefois, les serpents ont été une menace récurrente durant le passé ancestral. Cette pression sélective a façonné notre cerveau. Ainsi de tous les animaux, encore aujourd’hui, ce sont les serpents qui sont les plus effrayants (Polák, Sedláčková, Nácar, Landová, & Frynta, 2016) et la prévalence de la phobie des serpents est élevée et a été estimée à 2-3% de la population générale (Klorman, Weerts, Hastings, Melamed, & Lang, 1974). Une hypothèse «évolutionnaire» – l’hypothèse de la détection des serpents (Isbell, 2011) – est que nous sommes donc encore dotés de mécanismes de détection des serpents. En faveur de cette hypothèse se trouvent de nombreuses études qui montrent que, dans des tâches de laboratoire, des adultes, mais aussi des enfants, détectent plus rapidement des serpents parmi d’autres stimuli comme des fleurs ou des chenilles (e.g., Öhman, Flykt, & Esteves, 2001; LoBue & DeLoache, 2008). Aussi la peur des serpents serait-elle plus rapidement acquise que celle correspondant à d’autres stimuli. Seligman (1971) a émis l’hypothèse que les êtres humains ont une prédisposition, dont ils ont hérité, à apprendre à avoir peur de stimuli, comme les serpents, qui, dans le passé ancestral, menaçaient fortement la survie de nos ancêtres. Des études conduites chez des primates ont montré que des singes rhésus apprenaient rapidement à être effrayés par des serpents en observant des congénères qui manifestaient de la peur alors que la peur des fleurs ou des lapins n’était pas acquise après avoir observé d’autres singes traduire de la peur pour ces derniers stimuli (Mineka, Davidson, Cook, & Keir, 1984). Comme les êtres humains sont aussi des primates, on peut s’attendre à ce qu’il existe, chez les êtres humains, un biais d’apprentissage de la peur des serpents, et des études ont, en effet, mis en évidence un tel biais. Des travaux ont montré que les serpents sont plus fortement, et de façon persistante, conditionnables à un stimulus aversif que ce n’est le cas de stimuli neutres (Öhman, 2009). Aussi chez des enfants âgés de 7 à 9mois, une étude (DeLoache & LoBue, 2009) a-t-elle montré que les enfants regardaient préférentiellement un court extrait vidéo d’un serpent comparativement à celui d’un animal exotique, comme un hippopotame, lorsque la vidéo du serpent était associée à une voix d’adulte effrayante tandis qu’aucune préférence d’exploration visuelle ne se manifestait lorsque la vidéo d’un serpent était couplée à une voix adulte joyeuse.

15Une des conséquences du biais que nous avons à apprendre à craindre les serpents est que nous sommes enclins à inférer des corrélations illusoires entre les serpents et des stimuli aversifs comme l’a montré une étude de Tomarken et collègues en 1995 (Tomarken, Sutton, & Mineka, 1995). Dans une expérience (Expérience 1), ils ont projeté à des adultes des diapositives de serpents, de prises électriques endommagées, de fleurs ou de champignons. Certaines diapositives étaient associées pendant deux secondes à un petit choc électrique, à un son, ou n’étaient accompagnées d’aucun événement particulier (et ce, de façon équiprobable). Après coup, les participants étaient plus enclins à croire que les diapositives des serpents avaient été associées à un choc électrique que ce n’était le cas des diapositives de fleurs ou de champignons. Plus intéressant encore, l’expérience montrait que de telles corrélations illusoires n’étaient pas attestées avec les prises électriques! La théorie du management de l’erreur, décrite ci-après, permet de comprendre la raison de telles corrélations illusoires.

16La théorie du management (ou de la gestion) de l’erreur (en anglais: Error Management Theory (EMT); Haselton & Buss, 2000; Haselton & Nettle, 2006; Haselton et al., 2015) postule que les erreurs n’ont pas toutes le même coût en termes de fitness. Cette théorie s’enracine dans la théorie de la détection du signal. Selon cette dernière, deux types d’erreurs sont possibles: un faux positif (e.g., penser que la forme aperçue dans les fourrés est un serpent alors qu’il s’agit en réalité d’une branche morte) ou un faux négatif (e.g., ne pas penser que la branche morte est un serpent alors qu’il s’agit bien d’un serpent) (voir la Figure1 pour une illustration).

Pourquoi avons-nous encore peur des serpents? Apport de la psychologie évolutionniste à la compréhension de certains biais comportementaux (1)

17Le coût de ces erreurs peut s’avérer asymétrique, et dans l’exemple du serpent, le faux négatif peut coûter la vie! Selon l’EMT, lorsqu’il y a asymétrie dans le coût des erreurs, la sélection naturelle a façonné des mécanismes qui favorisent la production de l’erreur la moins coûteuse sur le plan de la fitness. Fondamentalement, cette théorie postule que les biais évaluatifs qui ont promu la survie et la reproduction dans le passé ancestral sont encore privilégiés de nos jours. En termes de survie, un détecteur de serpents qui repère la présence effective d’un serpent dans l’environnement est important, mais dans le doute, il est préférable que ce détecteur réagisse à tort à la présence d’un serpent plutôt qu’il ne la manque souvent. Nous verrons plus loin d’autres exemples de biais pouvant s’expliquer par la théorie de la gestion de l’erreur.

18Au-delà des serpents, dans le passé ancestral, nos ancêtres devaient aussi faire attention aux tigres à dents de sabre, aux hyènes, ou encore aux ours et lions des cavernes. La peur des animaux semble souvent irrationnelle et injustifiée de nos jours, mais elle a eu une valeur adaptative dans le passé ancestral (Røskaft, Bjerke, Kaltenborn, Linnell, & Andersen, 2003). Røskaft et al. (2003) se sont penchés sur la question de la peur des gros carnivores dans une étude conduite en Norvège. Interrogés au moyen de questionnaires, les adultes indiquaient qu’ils éprouvaient une peur intense pour deux gros et dangereux carnivores, à savoir les ours bruns (57% des personnes interrogées disaient qu’elles en avaient très peur) et les loups (48% affirmaient en avoir très peur). Pour d’autres espèces, la peur semble moins répandue: ainsi pour les lynx, 27% des personnes en ont très peur, et pour les carcajous, le pourcentage est de 20. (L’étude a révélé aussi que les femmes avaient plus peur que les hommes de tous ces carnivores, et que la peur exprimée pour ces carnivores, à l’exception des lynx, augmentait avec l’âge chez les deux sexes.) Dans nos sociétés modernes, les animaux dangereux sont généralement tenus à l’écart de nos villes ou de nos campagnes. La plupart du temps, ils ne constituent donc pas des menaces réelles, mais notre système cognitif les traite toujours de façon privilégiée, comme si nous étions susceptibles de les rencontrer fréquemment dans notre environnement. Des travaux ayant recours à la technique d’enregistrement des mouvements oculaires ont montré que, lors de l’exploration de scènes visuelles, les animaux dangereux comme des lions étaient détectés plus vite et ils maintenaient également plus l’attention que des animaux non dangereux (Yorzinski, Penkunas, Platt, & Coss, 2014). De façon intéressante, un travail récent de Prokop et Fančovičová (2017) a montré que des enfants âgés de 10-13ans mémorisaient mieux des informations sur des animaux lorsqu’elles étaient insérées avec des illustrations d’animaux qui les montraient dans une posture agressive plutôt que neutre, suggérant par-là que des illustrations d’animaux agressifs font l’objet de plus d’attention, bien que cela ne se fasse pas aux dépens des informations qui les accompagnent et qui doivent être apprises. Ce travail, qui s’inscrit dans le thème de la mémoire adaptative (Nairne, 2010; Bonin & Bugaiska, 2014 pour une synthèse en français, voir aussi plus bas), atteste que les travaux de psychologie évolutionniste peuvent être riches d’applications, ici au niveau du matériel pédagogique (voir également Štefaniková & Prokop, 2015). De façon générale, nous serions équipés d’un système de surveillance des êtres vivants animés (New, Cosmides, & Tooby, 2007). New et al. (2007) ont montré que, lors de la perception de scènes visuelles qui alternent, et dans lesquelles peuvent survenir des changements, ceux qui étaient relatifs à des choses-vivantes (e.g., un pigeon) étaient détectés plus rapidement, et avec plus de précision, que ceux qui concernaient des choses non-vivantes (e.g., une tasse). Par ricochet, les animaux humains et non-humains sont mieux mémorisés que les artéfacts comme l’attestent des études sur la mémoire épisodique (e.g., Bonin et al., 2014; Nairne et al., 2013). Dans le passé ancestral, il était important de se souvenir des choses-vivantes, car elles sont souvent relatives à des proies ou à des prédateurs, ou encore à des congénères, qui toutes possèdent une valence: certains animaux pouvant constituer un futur repas, un congénère putativement un partenaire sexuel et un prédateur une menace potentielle. Mais il était tout aussi important de se souvenir de leur localisation spatiale et temporelle: où et quand des lions rôdent! Ainsi le contexte dans lequel des choses animées vivantes apparaissent devrait-il être mieux mémorisé que celui concernant des choses non-vivantes inanimées. Cette prédiction, qui dérive donc d’un paradigme évolutionnaire, a été vérifiée récemment par Gelin, Bonin, Méot, et Bugaiska (2018). Ces chercheurs ont montré que des adultes se souvenaient mieux de mots renvoyant à des entités animées qu’inanimées, mais également, que les contextes spatial (où le mot avait été présenté sur l’écran d’un ordinateur) et temporel (quand le mot avait-il été présenté dans la liste de mots: au début? à la fin?) dans lesquels apparaissaient les mots animés étaient mieux retenus que les informations contextuelles concernant des mots inanimés.

19Parmi les mammifères, nous sommes des primates, et nous pouvons stocker des graisses quand nous en avons la possibilité. Pendant les millions d’années de notre histoire évolutive, les opportunités de stockage de graisse en excès lors de l’alimentation étaient rares et transitoires (Bellisari, 2008). Ainsi nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont-ils été confrontés à la pénurie. Ils devaient rechercher activement de la nourriture.Notre goût pour la nourriture riche en graisse et sucrée s’inscrit donc dans notre longue histoire évolutive, ce que les industries de fast-food n’ignorent pas comme nous l’avons mentionné en Introduction. Comme l’exprime Rachel Herz (2018): «Le goût sucré allume les mêmes voies de récompense dans le cerveau que les drogues addictives ou l’alcool et déclenche la libération de dopamine. Dans le monde d’avant les aliments transformés, le goût du sucré provenait exclusivement des glucides, ce qui était synonyme de calories – à savoir une nécessité pour la survie, car pour la plus grande partie de l’histoire humaine, l’incertitude quant au repas suivant était une source d’inquiétude constante. La capacité de percevoir le sucré nous a évité de mourir de faim.» (p.17). De nos jours, dans nos sociétés modernes industrialisées, il n’y a quasiment plus de pénuries alimentaires; au contraire, nous sommes confrontés à l’abondance de nourriture riche en gras et comme l’a exprimé Michel Raymond (2017) «nous baignons dans le sucre» [8]. Une hypothèse est que nous avons hérité de mécanismes sensibles à la présence de nourriture dans l’environnement permettant sa détection ainsi que de processus métaboliques permettant de stocker des graisses afin d’affronter d’éventuelles périodes de pénurie. Comme illustré par la Figure2, ces mécanismes, qui étaient donc utiles à la survie dans les environnements ancestraux, conduisent désormais dans nos environnements modernes, où la nourriture grasse et sucrée est abondante et facile à obtenir, à une prise de nourriture trop importante. Pour qualifier ce genre de phénomène, les psychologues évolutionnistes parlent d’un «décalageévolutionnaire» (en anglais: evolutionary mismatch).

Pourquoi avons-nous encore peur des serpents? Apport de la psychologie évolutionniste à la compréhension de certains biais comportementaux (2)

20Plus généralement, on parle de «décalage» dès lors que l’environnement qui existait lorsqu’un mécanisme a évolué a changé plus vite que le temps nécessaire à l’adaptation dudit mécanisme (Li, van Vugt, & Colarelli, 2018). L’épidémie d’obésité auxquelles nos sociétés modernes sont confrontées (Bellisari, 2008) pourrait donc s’expliquer au moins en partie en raison de ce décalage évolutionnaire.

21Nous sommes équipés de mécanismes de détection de nourritures et de boissons comme l’attestent un certain nombre d’études. Trouver de l’eau potable, afin de boire régulièrement, a été une préoccupation fondamentale de nos ancêtres car au-delà de quelques jours sans boire l’organisme dépérit rapidement. Par ailleurs, le cerveau a besoin d’eau pour fonctionner normalement car sinon il «rétrécit», ce qui conduit à altérer son fonctionnement (Wittrochdt, Sawka, Mizelle, Wheaton, & Millard-Stafford, 2018). Lorsque nous avons soif, nous percevons plus rapidement dans l’environnement des objets qui sont en lien avec la boisson (Aarts, Dijksterhuis, & De Vries, 2001). En effet, Aarts et al. (2001) ont montré que les adultes lisaient plus vite (dans une tâche de décision lexicale) des mots reliés à la boisson (e.g., verre, jus) lorsqu’ils avaient soif que des mots sans lien avec ce besoin physiologique. Il en va de même des aliments. La nourriture représente un stimulus indispensable à la survie de l’organisme et il n’est donc pas étonnant qu’un certain nombre d’études aient montré que nous détections de la nourriture de façon privilégiée parmi d’autres stimuli (e.g., des objets). Ainsi, une étude récente (Sawada, Sato, Toichi, & Fushiki, 2017), conduite au Japon, a montré que des adultes détectaient plus rapidement, dans une série d’items, des aliments (de type fast-food comme un hamburger ou bien des Sushis) que des ustensiles de cuisine (pour d’autres résultats en faveur d’une détection plus rapide des aliments comparativement à des non-aliments, voir également: de Oca & Black, 2013; Nummenmaa, Hietanen, Calvo, & Hyönä, 2011). Le regard semble aussi automatiquement attiré par de la nourriture peu saine, mais riche, comme des snacks (Junghans, Hooge, Maas, Evers, & De Ridder, 2015).

22L’attention et l’intérêt portés à la nourriture dépendraient de notre état physiologique comme notre degré de satiété. Ainsi lorsque nous sommes rassasiés, nous éprouvons moins la faim. Ils dépendraient aussi du fait d’être en bonne, ou au contraire, en mauvaise santé (l’appétit est souvent en berne lorsque nous sommes malades); de motivations concurrentes (e.g., les jeunes amoureux éprouvent moins la sensation de faim donnant raison à l’adage selon lequel «les amoureux vivent d’amour et d’eau fraîche»), etc. Lorsque nous avons faim, notre perception est souvent biaisée: des études ont ainsi révélé que nous détectons plus vite des aliments (Piech, Pastorino, & Zald, 2010) et que nous sommes moins réticents à ingérer des aliments moins ragoûtants (Hoefling et al., 2009). Au-delà de la nourriture stricto sensu, le degré de satiété biaiserait également notre perception de l’attractivité de partenaires potentiels comme l’étude de Nelson et Morrison (2005) a pu le mettre en évidence, de sorte que les hommes préfèrent des femmes ayant une plus forte corpulence lorsqu’ils ont faim que lorsqu’ils sont rassasiés. Dans la même veine, Otterbring (2018) a mis en évidence qu’être exposé à la photographie d’une femme séduisante (vs. peu séduisante) n’avait pas d’impact chez des hommes sur l’intention de consommer de la nourriture saine (e.g., bâtons de carottes, fruits frais) vs. peu saine (e.g., hamburger, pizza), alors que chez les femmes, l’exposition à la photographie d’un homme séduisant augmentait le désir de consommer de la nourriture saine (e.g., bâtons de carottes, fruits frais). Pourquoi? Une explication est que, comme l’ont amplement montré les travaux de Buss (Buss, 2014 pour une synthèse), les femmes «savent» que les hommes valorisent chez elles l’apparence physique, et elles font donc des choix alimentaires pilotés par cette préférence. On n’observe pas ce phénomène chez les hommes car ils «savent» que ce que les femmes privilégient chez eux, c’est la capacité à prodiguer des ressources. Et en accord avec cette interprétation évolutionnaire, l’étude d’Otterbring montrait également que les hommes étaient plus enclins à dépenser de l’argent pour des boissons (e.g., champagne de prestige) et des plats onéreux (e.g., caviar) lorsqu’ils avaient été confrontés à des photos de femmes séduisantes.

23De nombreuses personnes vivent aujourd’hui dans des villes où les contacts sociaux prolongés avec des inconnus sont souvent rares. Des individus peuvent rester seuls parfois pendant de très longues périodes. Ainsi une proportion non négligeable de la population vit-elle sans partenaire intime (30-40% des individus selon une étude réalisée par Apostolou (sous presse) en Grèce). Et selon deux études indépendantes réalisées sur un ensemble de 1,682personnes, la moitié d’entre elles serait seule sans l’avoir choisi (Apostolou, Papadopoulou, & Giorgiadou, sous presse). La solitude a un impact négatif sur le bien-être et sur la santé (Hawkley & Cacioppo, 2010). Ainsi les personnes qui sont socialement isolées tombent-elles plus facilement malades et ont-elles plus de difficultés à se remettre d’une affection ou d’une opération chirurgicale (e.g., les personnes mariées qui ont subi un pontage aortocoronarien ont 2,5 fois plus de chance d’être en vie 15ans après l’intervention que celles qui étaient, à ce moment-là, célibataires, séparées, divorcées ou veuves [King & Reis, 2012]; plus généralement sur les conséquences négatives du manque de liens sociaux, voir Baumeister & Leary, 1995). Comme énoncé en Introduction, être exclus socialement active des réseaux neuronaux qui sont largement communs à ceux qui sont en jeu lorsque nous éprouvons de la douleur physique (e.g., Eisenberger et al., 2003). En corollaire, en comparaison d’un placebo, la prise de médicaments antidouleur, comme du paracétamol, se traduit par une baisse de la douleur (sociale) liée à l’exclusion sociale comme l’atteste une étude réalisée par DeWall et al. (2010). Ces chercheurs ont aussi montré au moyen d’une étude par IRMf que les zones cérébrales impliquées dans la douleur sociale (cortex cingulaire antérieur dorsal, insula antérieure) réagissaient moins fortement après la prise de paracétamol toujours comparativement à un placebo.

24Dans le passé ancestral, les êtres humains vivaient en petits groupes et ils n’étaient donc pas seuls. Une hypothèse – l’hypothèse du cerveau social (Viciana, Cova, Baumard, & Morin, 2018) – stipule que la vie dans des groupes sociaux complexes est l’une des pressions sélectives les plus importantes dans le façonnage évolutif de notre cerveau. Vivre en groupe est en effet complexe car cela nécessite de reconnaître ses proches, d’interagir avec des personnes inconnues, et ce faisant, identifier celles avec lesquelles il est possible de coopérer, celles qui, au contraire, peuvent nous exploiter, etc.

25Le groupe a donc eu une importance capitale dans le passé ancestral et comme l’ont écrit Epley, Waytz et Cacioppo (2007): «Pendant pratiquement toute l’histoire évolutive de l’être humain, être banni ou ostracisé était purement et simplement une sentence de mort pour son héritage génétique [...].» p.875. Une hypothèse est que notre système cognitif a été façonné pour éviter l’exclusion sociale. Spoor et Williams (2007) pensent que les êtres humains seraient équipés d’un «système de détection d’ostracisme». Ce système permettrait la détection rapide et efficace de menaces qui peuvent peser sur l’appartenance à un groupe social. Exclus, nous mettrions en œuvre des stratégies afin de faire face à cette situation parmi lesquelles la ré-affiliation. Des recherches ont largement confirmé que nous avions des biais de traitement de l’information sociale permettant de détecter des actes d’ostracisme. Ainsi, le fait de ressentir de la douleur face à l’exclusion sociale serait adaptatif (Eisenberger et al., 2003) en avertissant d’un problème d’appartenance sociale. Les individus qui sont exclus sont plus sensibles aux informations sociales comme en atteste leur meilleure rétention d’informations biographiques de nature sociale que factuelle (Gardner, Pickett, & Brewer, 2006). En laboratoire, des expériences ont montré que le simple fait d’être exclus par de parfaits inconnus lors d’un jeu virtuel se déroulant sur ordinateur, comme un lancer de balle, avait pour effet de générer des réactions aversives (Williams, Cheung, & Choi, 2000). Des individus socialement rejetés tendent à mettre en œuvre des stratégies de ré-affiliation après avoir été immédiatement exclus, comme évoqué plus haut, comme s’impliquer plus dans un travail collectif (Williams & Sommer, 1997). Les personnes qui sont victimes d’actes d’ostracisme ne réagissent pas toujours de façon positive et des actes d’agression peuvent aussi être mis en œuvre face à l’exclusion sociale (Twenge, Baumeister, Tice, & Stucke, 2001), et ce, notamment lorsque les individus ressentent une perte de contrôle sur la situation.

26Ce besoin fondamental de liens sociaux explique sans doute le succès des technologies comme le téléphone portable car il permet d’être en relation avec beaucoup de monde et de façon quasi-permanente. Toutefois, dans le même temps, l’utilisation du téléphone portable en présence d’autrui, ou même sa simple présence lors d’interactions sociales, peut avoir des effets délétères sur les relations sociales comme le montrent certaines études scientifiques (e.g., Dwyer, Kushlev, & Dunn, 2018; Przybylski & Weinstein, 2012). Pour l’anecdote, nous avons tous vécu cette expérience désagréable d’être face à une personne qui surveille sans arrêt son portable, et qui même pianote sans arrêt pendant que nous lui parlons… Chotpitayasunondh et Douglas (sous presse) ont montré que des personnes peuvent se sentir socialement exclues dans des situations où d’autres personnes se servent de leur téléphone portable pendant une interaction: en anglais on parle de phubbing, mot formé à partir de phone (téléphone) et snubbing (snober), expression qu’on peut traduire par télésnober. Ces chercheurs ont présenté à des adultes une animation silencieuse de trois minutes pendant laquelle ils percevaient deux personnes qui conversaient. Ils devaient s’imaginer dans l’interaction sociale perçue, et plus précisément, dans la peau de la personne vue de dos. Selon les conditions expérimentales, la personne vue en face («le partenaire» du participant) utilisait son portable: (1) de façon très conséquente (e.g., il regardait son écran et souriait en lisant des messages reçus); (2) durant une partie de l’interaction ou (3) ne l’utilisait pas du tout. Les résultats révélaient que le fait de télésnober affectait la qualité de la communication perçue et la satisfaction éprouvée envers l’interaction sociale. Ces effets étaient médiés par la réduction du sentiment d’appartenance (évalué par questionnaire). Le télésnobage est donc une forme spécifique d’exclusion sociale, d’ostracisme, qui menace notre besoin fondamental d’appartenance hérité de notre passé ancestral.

27Comme l’écrit avec un certain humour Peggy Sastre (2018): «Globalement, les pathogènes ont constitué et constituent un problème adaptatif majeur pour tous les organismes vivants – même les pathogènes doivent se méfier des pathogènes. D’où le fait qu’ils soient l’un des facteurs d’évolution les plus vigoureux. Se faire alpaguer par une bactérie, un virus, un ver ou un protozoaire, c’est lui offrir un gîte, un couvert et un endroit où croître et se multiplier à votre corps défendant – littéralement parlant. La dette énergétique qu’il représente ne vous sera jamais remboursée, et un hôte se voit souvent désavantagé en termes de survie et de succès reproductif.»

28Lorsque nous sommes malades, notre organisme doit en effet se mobiliser afin de lutter contre l’affection et nous sommes obligés de ralentir nos activités. La sélection naturelle a doté nos organismes d’un système immunitaire biologique dont le rôle est de combattre les agents pathogènes qui se sont introduits dans notre corps. En référence au système immunitaire biologique, Mark Schaller a proposé que nous aurions aussi hérité d’un système dont la fonction est d’éviter d’entrer en contact avec des agents pathogènes: le Système Immunitaire Comportemental (SIC, Schaller & Park, 2011). Ce système n’est pas propre à l’être humain car chez des animaux non-humains, il a également été observé. Par exemple, chez des grenouilles, lorsque des congénères sont infectés, ils sont activement évités (Schaller & Duncan, 2007). Le SIC serait composé de divers mécanismes dont un mécanisme de détection d’indices signalant la possibilité d’infection dans l’environnement physique (e.g., détection d’odeur) ou social (e.g., détection chez des congénères de signes d’affections pathologiques: boutons, plaies, etc.), ou encore de réponses émotionnelles comme le dégoût. En effet, le dégoût serait une émotion façonnée par la sélection naturelle afin de nous informer de la présence d’éléments contaminés dans l’environnement (Chapman, Kim, Susskind, & Anderson, 2009). Lorsque nous sommes dégoûtés par un aliment nous arborons une expression faciale typique: nez qui se pince, lèvres qui s’enroulent, protrusion de la langue… La fonction du dégoût serait d’éviter d’ingérer des agents pathogènes (e.g., nourriture contaminée) ou bien de les expulser hors du corps.

29En référence à la théorie du management de l’erreur (Haselton, 2007; Haselton & Buss, 2000; Haselton & Nettle, 2006; Haselton et al., 2015), le mécanisme de détection d’agents pathogènes du SCI fonctionnerait à la manière d’un détecteur de fumé (Nesse, 2001), de sorte qu’il serait enclin à sur-réagir. Des études montrent ainsi que nous sommes extrêmement sensibles à la présence d’indices qui semblent indiquer qu’une personne dans notre entourage est contaminée. Ainsi, il est possible de détecter, juste en regardant le visage d’une personne, qu’elle est malade (Axelsson et al., 2018). Mais quels sont les signes signalant une affection, qui sont détectés par le système perceptif? Axelsson et ses collaborateurs ont présenté à des adultes des visages pris en photo de personnes qui, deux heures auparavant, avaient été soit volontairement infectées par une bactérie afin de produire une réponse immunitaire; soit avaient reçu un placebo. (En réalité, les mêmes personnes étaient impliquées à des moments différents pour ces deux types d’injection.) Les évaluateurs étaient capables d’identifier, au-delà du hasard, les personnes réellement malades de celles non-infectées (celles qui avaient reçu un placebo et donc «saines»). Aussi les visages étaient-ils évalués par des participants naïfs (en fait d’autres participants que ceux ayant réalisé la tâche de catégorisation des photos en "sain" vs. "malade") en regard des traitements (placebo vs. infection) sur un certain nombre de dimensions. Il est apparu que les personnes contaminées étaient jugées comme ayant une peau et des lèvres plus pâles, un visage plus gonflé, les coins de la bouche plus affaissés, des paupières plus flasques, des yeux plus rouges et une peau plus terne que celles non-contaminées. Également, point important, ces premiers étaient perçus comme plus fatigués que ces derniers. Parmi cet ensemble d’indices faciaux reliés à la maladie, la pâleur des lèvres s’est révélée le plus important.

30Une question intéressante est celle de savoir si les individus sont capables de percevoir des personnes atteintes de maladies qui ne laissent pas de traces physiques visibles comme c’est le cas de maladies sexuellement transmissibles, telles que l’herpès ou l’infection par le virus du SIDA. Afin d’aborder cette question, des chercheurs (Tskhay, Wilson, & Rule, 2016) ont testé si des adultes pouvaient catégoriser correctement comme «sain» vs. «malade» des personnes qui se savaient atteintes du VIH ou de l’herpès. Les résultats ont montré que, pour les visages de personnes ayant le virus du SIDA ou bien ceux de celles ayant un herpès, les catégorisations faites par des adultes (visage «sain» vs. «malade») différaient significativement du hasard. Ainsi les adultes sont-ils donc capables de repérer les personnes malades à partir d’indices en toute vraisemblance subtils, car ces affections ne laissent pas de traces physiques visibles au niveau du visage.

31Comme l’a indiqué une étude, des individus peuvent ressentir du dégoût et manifester des comportements d’évitement face à une personne qui manifeste des symptômes d’une affection grippale (Ryan et al., 2012). Toutefois, ils réagissent aussi de cette façon confrontés à une personne qui n’est pas malade mais qui a sur le visage une anomalie non-pathogène comme une tache de vin (Ryan et al., 2012), ou face à des personnes obèses (Park, Schaller, & Crandall, 2007). Le SIC s’activerait donc dès lors que seraient perçus des indices signalant une menace réelle de contamination comme des amas de pustules ou des formes grossièrement circulaires (évoquant des "trous"), comme il en résulte lors de pathologies telles que la lèpre, la variole ou la scarlatine, mais il pourrait donc aussi s’activer en présence d’indices qui suggèrent seulement une affection. Dans ce cadre, Kupfer et Le (2018) ont proposé que la phobie des trous – la trypophobie – pourrait correspondre à une exagération (une sur-généralisation) d’une réponse adaptative à des indices indiquant la présence d’une maladie chez autrui. Les individus atteints de cette phobie éprouvent de l’aversion envers des objets qui sont bénins comme des éponges, des bulles de savon, des nids de guêpes, etc. [9] Cette phobie aurait donc un enracinement évolutionnaire (Cole & Wilkins, 2013; Kupfer & Le, 2018). En faveur de cette hypothèse, il a été observé des liens entre la peur des maladies (évaluée par questionnaire), le fait d’avoir eu des problèmes de peau, et la prédisposition à la trypophobie (Imaizumi, Furuno, Hibino, & Koyama, 2016; Yamada & Sasaki, 2017). Ces données étant corrélationnelles, il convient de rester prudent car la causalité entre contamination et trypophobie n’est pas assurée; les mécanismes psychologiques et neuronaux précis qui sous-tendent la trypophobie restant à élucider. Aussi, certains comportements obsessionnels et compulsifs, comme se laver plusieurs centaines de fois par jour chez des patients, peuvent s’envisager, dans une perspective évolutionnaire, comme une exagération de comportements, qui, dans des conditions normales, ont des bénéfices en termes de fitness (Clamp, 2001). En effet, se laver régulièrement les mains aide à éliminer des germes et des bactéries qui peuvent être vecteurs de maladies. Enfin, le SIC pourrait avoir un impact aussi sur les préoccupations que l’on peut avoir concernant son apparence physique. Ackerman, Tybur et Mortensen (2018) ont montré que dans un contexte où la contamination par des agents pathogènes était rendue saillante comparativement à des situations contrôles où cette menace n’était pas présente, des individus qui avaient une aversion chronique aux germes (évaluée par un questionnaire), exprimaient plus de préoccupations vis-à-vis de leur apparence physique. Ils étaient en conséquence plus enclins à agir de sorte à rehausser ou bien à masquer leur apparence physique comme par exemple acheter des produits cosmétiques pour le visage ou envisager la chirurgie esthétique.

32La perspective théorique développée par la psychologie évolutionniste est celle d’un esprit-cerveau richement doté en adaptations, lesquelles, comme nous l’avons expliqué, ont été façonnées pendant le passé ancestral, et ont permis à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs de survivre et de se reproduire (Bonin, 2017). Ces adaptations résolvent donc des problèmes adaptatifs différents et il est parfois reproché aux psychologues évolutionnistes de développer une conception «rigide» du fonctionnement humain. Williams James (1842-1910) avait parlé d’instincts chez l’être humain comme l’amour parental, la colère, la jalousie, etc. Parmi les instincts identifiés par James se trouvent de nombreux mécanismes spécialisés dans la résolution de problèmes adaptatifs spécifiques qui sont justement étudiés par les psychologues évolutionnistes. Pour James, les êtres humains ont beaucoup d’instincts et c’est ce qui fait qu’ils ont des réactions flexibles, qu’ils peuvent réagir à des modifications subtiles de l’environnement et qu’ils sont en conséquence moins prévisibles que les animaux non-humains.

33Une erreur consiste à croire que les êtres humains héritent de cerveaux remplis de contenus informationnels liés à la survie, à savoir que nous aurions en quelque sorte dans notre tête des archétypes de serpents, de plantes, etc. (Nairne, 2016). En réalité, comme illustré dans cet article, nous héritons de dispositions – de biais – à traiter des informations en relation avec la survie (Nairne, 2016), comme des indices dans l’environnement qui, par exemple, peuvent évoquer un serpent (e.g., déplacement en ondulation; détection de signaux aposématiques comme la forme triangulaire de la tête de certains serpents), ou encore la colère dans un visage; ou de façon générale des traits qui signalent une menace comme des dents pointues, des griffes, etc. (Souchet & Aubret, 2016). Ainsi une simple forme géométrique, telle qu’une forme en V qui pointe vers le bas (V ressemble à la forme d’un visage lorsqu’il exprime de la colère) est-elle perçue comme menaçante (Larson, Aronoff, & Stearns, 2007), et est-elle détectée plus vite que des formes géométriques simples n’évoquant pas la colère comme une forme en V inversé (e.g., ∆, voir Larson et al., 2007). Nous avons aussi des biais à apprendre, dès le plus jeune âge, plus facilement certaines informations que d’autres comme les mots et les formes syntaxiques de la langue parlée autour de nous (Pinker, 1999).

34D’aucuns ont pu objecter qu’un système cognitif doté d’adaptations spécifiques ne peut pas rendre compte de la plasticité du système neuronal. Par exemple, si nous sommes dotés d’un détecteur de serpents alors comment expliquer que nous puissions réagir à des menaces modernes, qui n’existaient donc pas dans le passé ancestral, comme les armes à feu? En réalité, l’existence d’un «module de détection de serpents» n’est pas incompatible avec l’existence de mécanismes dédiés à la détection de menaces modernes et des travaux montrent que les menaces modernes sont détectées également rapidement (e.g., Blanchette, 2006; de Oca & Black, 2013). Pour LoBue, Rakison et DeLoache (2010), ces observations suggèrent que les êtres humains disposeraient de multiples trajectoires cognitives leur permettant de détecter des menaces: nous aurions des biais permettant la détection de menaces ancestrales comme les serpents et d’autres biais relevant de menaces «modernes» qui sont spécifiques à notre environnement. Ainsi LoBue (2010) a-t-elle montré que des enfants âgés de 3ans qui avaient eu une expérience négative avec des seringues, et aucune expérience négative avec des couteaux – parce qu’ils n’étaient pas autorisés à les toucher à la maison – détectaient rapidement seulement les seringues, pas les couteaux, comparativement à des stimuli neutres comme des cuillères, bien que les deux types de stimuli soient dangereux.

35En réalité, contrairement à l’intuition, un système cognitif «modulaire» est plastique car les adaptations ne sont pas à concevoir comme des réflexes qui se déclenchent sans tenir compte de l’état de l’organisme, des conditions de l’environnement, etc. La psychologie évolutionniste adopte une perspective résolument interactionniste (Dunbar, 2008), et donc, il est admis que certaines adaptations seront, dans certains contextes, «désactivées»; au contraire, dans d’autres, elles seront «activées» encore plus fortement – la plasticité phénotypique (Baumard, 2017). Plusieurs adaptations peuvent dans certaines circonstances entrer en conflit et se livrer «un bras de fer» (Beall & Schaller, 2019), et dans ce cas, une régulation dans leurs activations respectives sera nécessaire. Quelques études vont permettre d’illustrer ces aspects.

36Alors que des desserts appétissants captent généralement l’attention d’individus qui s’approchent d’un buffet (car, comme nous l’avons décrit plus avant, nous avons hérité d’un module de détection de la nourriture et d’évaluation de sa qualité énergétique, Toepel, Knebel, Hudry, le Coutre, & Murray, 2009), lorsqu’une personne est immergée dans une conversation animée, ou bien lorsqu’elle réfléchit à un problème complexe, elle peut passer devant un délicieux gâteau au chocolat sans même le remarquer, et donc ne pas être tentée de le consommer! Cet exemple illustre que les adaptations sont donc bien modulables par nos états internes et leur coût cognitif, mais au-delà de l’exemple des études scientifiques se sont penchées sur ce type de régulation. Ainsi une étude de Van Dillen, Papies et Hofmann (2013) a-t-elle montré que des adultes manifestaient un haut niveau d’attention pour des stimuli attrayants (nourriture sucrée ou grasse comme des frites; visages de belles femmes pour des hommes hétérosexuels) comparativement à des stimuli neutres (pour la nourriture, des radis par exemple; pour des personnes, des visages non attrayants). Toutefois, lorsqu’une tâche cognitivement coûteuse – comme retenir une série de chiffres en mémoire – était réalisée en parallèle du traitement des stimuli appétitifs, un tel biais attentionnel n’apparaissait plus. Ainsi, dans l’une des études de Van Dillen et al. (2013), des adultes devaient catégoriser au moyen de boutons-réponses la localisation (à droite versus à gauche) d’images de nourriture sur un écran d’ordinateur. Les images représentaient de la nourriture appétitive et dense en calories, ou bien au contraire, de la nourriture neutre et faible d’un point de vue calorifique. Avant la présentation de chaque image, les participants voyaient soit un chiffre, soit huit chiffres qu’ils devaient retenir pendant la tâche de catégorisation. Après avoir fourni leur réponse, un nombre apparaissait et ils devaient juger s’il s’agissait du même que celui présenté au début de l’essai expérimental ou bien d’un nombre différent. Les résultats montraient que les temps de catégorisation étaient plus longs pour les images de nourritures «riches» que pour celle «neutres», mais seulement lorsque la tâche de mémorisation était cognitivement peu coûteuse (un chiffre). Lorsque la tâche de mémorisation était coûteuse, les temps de catégorisation ne variaient pas significativement entre les deux types d’images. Ces résultats suggèrent que le système cognitif peut, dans des conditions où les ressources cognitives sont limitées, en quelque sorte ne pas «céder» à certains biais. Selon Van Dillen et al. (2013), un coût cognitif élevé dévolu à la réalisation de certaines activités réalisées parallèlement à la confrontation à diverses tentations endiguerait leur évaluation hédoniste, l’accaparement des ressources cognitives par des tâches concurrentes conduisant à une sorte ‘d’aveuglement’ vis-à-vis de stimuli appétitifs! Toutefois, dans les exemples de biais décrits plus haut, on ne peut savoir s’il s’agit d’une d’absence d’activation d’une adaptation ou bien de son inhibition, les données ne permettant pas de trancher.

37Comme nous l’avons expliqué plus haut, éviter d’être contaminé est une préoccupation majeure car tomber malade est métaboliquement coûteux et peut avoir des conséquences délétères. Nous évitons le contact avec des personnes qui nous semblent en piètre santé (Ryan et al., 2012), et nous éprouvons du dégoût envers certains stimuli comme des fluides ou des odeurs corporelles (Stevenson & Repacholi, 2005). Toutefois, lorsque nous avons des relations sexuelles, nous sommes bel et bien en contact avec des fluides corporels et nous sentons des odeurs qui pourraient susciter, dans d’autres circonstances, du dégoût. Comment se fait-il alors que nous puissions avoir des relations sexuelles? Comment les mécanismes dévolus à l’évitement de la contamination, et ceux nous conduisant à avoir des relations sexuelles, sont-ils régulés? Une hypothèse est que s’engager dans une relation sexuelle réduit temporairement le dégoût que l’on peut ressentir pour certains stimuli. Pour tester cette hypothèse, Borg et de Jong (2012) ont réalisé une étude auprès de jeunes femmes adultes. Selon les conditions expérimentales, elles étaient amenées, via des vidéos, à être sexuellement excitées, à ressentir de l’excitation de nature non sexuelle (e.g., vidéo de sports comme l’alpinisme ou le parachutisme), ou bien à être dans un état émotionnellement neutre (e.g., vidéo d’un trajet en train). Elles devaient ensuite réaliser différentes tâches impliquant de manipuler des stimuli sexuels (e.g., lubrifier un vibromasseur) ou non sexuels (e.g., prendre une gorgée d’un jus de fruit placé dans un récipient dans lequel se trouve un insecte) et évaluer le niveau de dégoût ressenti eu égard à la réalisation de ces différentes tâches. (Précisons que durant l’expérience, elles étaient libres d’arrêter la réalisation des différentes tâches.) Les résultats montraient que les participantes sexuellement excitées, comparativement à celles des autres conditions expérimentales, ressentaient moins de dégoût lorsqu’elles manipulaient des stimuli de nature sexuelle, comme lubrifier un vibromasseur, et elles traduisaient moins de comportement d’évitement (elles étaient enclines à réaliser plus de tâches impliquant des stimuli dégoûtants).

38Beall et Schaller (2017) ont montré qu’une induction expérimentale activant la «motivation à prendre soin des enfants» (en montrant à des adultes des images d’animaux de compagnie mignons qu’on leur présentait comme ayant été abandonnés) conduisaient les femmes, pas les hommes, à être moins enclines à rechercher des partenaires pour un coup d’un soir (disposition évaluée à l’aide d’un questionnaire). Dans une autre étude, ces chercheurs ont à l’inverse expérimentalement induit la «motivation à la recherche de partenaires» (au moyen d’une photo d’un membre du sexe opposé séduisant et d’un commentaire demandant aux participants de s’imaginer flirter avec lui, et éventuellement avoir une relation sexuelle). Ils ont observé qu’hommes et femmes rapportaient après coup des réactions émotionnelles moins tendres vis-à-vis des enfants (évaluées à partir de la perception d’une photo d’un bébé mignon et en recueillant des mesures émotionnelles [au moyen d’échelles de Likert] comme la tendresse ressentie). On voit donc que des adaptations (recherche de partenaire/protection envers les enfants) peuvent être régulées lorsqu’un «bras de fer» se joue entre elles, de sorte que selon le contexte, l’une prendra le pas sur l’autre.

39Une hypothèse audacieuse est que certaines adaptations, les plus récentes sur le plan phylogénétique, permettraient dans certaines conditions une ‘mise sous silence’ d’adaptations plus anciennes (Eastwick, 2009; Eastwick & Durante, 2015). Par exemple, le désir sexuel qu’un individu, disons de sexe masculin, ressent pour une femme inconnue sexuellement attractive (adaptation ancienne remontant à plus de 6millions d’années présente chez nos ancêtres primates selon Eastwick, 2009) pourrait être désactivé, et donc contrôlé, lorsque cet individu est en relation de couple avec une autre personne à laquelle il est émotionnellement attaché (et ce, via une adaptation plus récente, celle correspondant à la formation de liens d’attachement remontant aux premiers homo vers 2millions d’années avant le présent, toujours selon Eastwick, 2009).

40En résumé, comme nous venons de l’illustrer, la psychologie évolutionniste est loin de défendre une conception déterministe du fonctionnement psychologique car la flexibilité des adaptations est au contraire un aspect fondamental qui permet de rendre compte de la variabilité comportementale observée en fonction des contextes ou des environnements différents. Comme l’a exprimé Baumard (2017): «[…] tous les mécanismes évolués, physiologiques ou psychologiques, en réalité possèdent un certain niveau de flexibilité en réponse à des contextes locaux. C’est ce que l’on appelle la plasticité phénotypique. Les codes génétiques d’un mécanisme sont capables d’exprimer différents phénotypes (organes, comportements) en réponse à des changements détectables et récurrents au sein de l’environnement.» (Notre traduction).

41Nous avons encore peur des serpents et d’autres animaux dangereux, nous avons toujours une appétence pour des aliments riches en gras et sucrés; le rejet social continue de nous affecter fortement, et nous évitons d’approcher de trop près de congénères qui nous semblent en piètre santé. Tous ces biais de traitement ne font pas de nous des êtres irrationnels (Haselton, 2007), et comme déjà dit, ils ne constituent pas des «défauts de conception» (Haselton et al., 2015); ils traduisent au contraire certaines caractéristiques de la «machinerie cérébrale». Nous espérons avoir convaincu les lecteurs qu’adopter une perspective évolutionnaire permet de mieux comprendre la présence et persistance de certains biais comportementaux dans notre quotidien. La «raison d’être» de nombreux biais s’explique de façon plus parcimonieuse à la lumière des contraintes et des problèmes que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont rencontrés dans le passé ancestral et pour lesquels des solutions ont été trouvées. Dans cet article, nous n’avons pas présenté toutes les catégories de biais (e.g., biais d’heuristique comme les stéréotypes; biais de confirmation), ou encore d’autres biais relevant des erreurs de gestion dans d’autres domaines (e.g., sexuel: lorsqu’il converse avec une femme un homme peut percevoir à tort des indices qui lui laisse accroire qu’elle a des idées derrière la tête alors que ce n’est pas le cas, voir Haselton, 2007 pour d’autres exemples de biais) mais notre objectif n’était pas celui-là. Comme déjà dit, nous avons souhaité présenter brièvement, en nous appuyant sur l’existence de certains biais, l’approche de la psychologie évolutionnaire (nous renvoyons le lecteur pour une discussion complémentaire sur les biais aux articles d’Haselton [Haselton & Nettle, 2006; Haselton et al., 2015]).

42La psychologie évolutionniste est une discipline récente dans le monde académique dont «l’accouchement» s’est fait dans la douleur, car elle a suscité dès l’origine des controverses parfois vives (voir Buss & von Hippel, 2018; Confer et al., 2010 pour un recensement des critiques et les réponses à celles-ci). Cependant, elle est aujourd’hui devenue une discipline scientifiquement mature (Buss, 2016). La psychologie «traditionnelle» s’est longtemps développée comme si Darwin n’avait jamais eu lieu[10], mais elle aurait beaucoup à gagner si elle adoptait une perspective évolutionnaire, cette dernière étant heuristique (DeBruine, 2009). Les travaux en psychologie évolutionniste, de plus en plus nombreux, ne cessent de montrer que notre cerveau porte donc encore les traces de notre histoire évolutive – parmi lesquelles les nombreux biais décrits dans cet article – qui s’actualisent dans notre fonctionnement psychologique. Nous sommes donc tous des descendants de chasseurs-cueilleurs, et si nous pouvons l’ignorer en tant qu’individu, comme nous espérons en avoir convaincu les lecteurs, nos cerveaux le savent! (Bonin, 2017).

43Les auteurs tiennent à remercier Steve Majerus et deux experts anonymes pour leurs commentaires constructifs.

    • Aarts, H., Dijksterhuis, A., & De Vries, P. (2001). On the psychology of drinking: Being thirsty and perceptually ready. British Journal of Psychology, 92, 631-642.
    • Ackerman, J. M., Tybur, J. M., & Mortensen, C. R. (2018). Infectious disease and imperfections of self-image. Psychological Science, 29, 228-241.
    • Apostolou, M. (sous presse). Why men stay single? Evidence from Reddit. Evolutionary Psychological Science.
    • Apostolou, M., Papadopoulou, I., & Giorgiadou, P. (sous presse). Are people single by choice? Involuntary singlehood in an evolutionary perspective. Evolutionary Psychological Science.
    • Axelsson, J., Sundelin, T., Olsson, M.J., Sorjonen, K., Axelsson, C., Lasselin, J., & Lekander, M. (2018). Identification of acutely sick people and facial cues of sickness. Proc Biol Sci., 285(1870), pii: 20172430.
    • Baumard, N. (2017). Phenotypic Plasticity. Retrieved from https://www.edge.org/response-detail/27196
    • Baumeister, R. F., & Leary, M.R. (1995). The need to belong: Desire for interpersonal attachments as a fundamental motivation. Psychological Bulletin, 117, 497-529.
    • Barrett, H. C. (2015). The Shape of Thought. How Mental Adaptations Evolve. New York: Oxford University Press.
    • Barrett, H. C., & Kurzban, R. (2006). Modularity in cognition: Framing the debate. Psychological Review, 113, 628–647.
    • Beall, A. T., & Schaller, M. (2019). Evolution, motivation, and the mating/parenting trade–off. Self and Identity, 18, 39-59.
    • Bellisari, A. (2008). Evolutionary origins of obesity. Obesity Reviews, 9, 165-180.
    • Blanchette, I. (2006). Snakes, spiders, guns, and syringes: How specific are evolutionary constraints on the detection of threatening stimuli? The Quarterly Journal of Experimental Psychology, 59, 1484-1504.
    • Bonin, P. (2017). Tous descendants de chasseurs-cueilleurs! Nos cerveaux le savent... Paris: Edilivre.
    • Bonin, P., & Bugaiska, A. (2014). «Survivre pour se souvenir». Une approche novatrice de la mémoire épisodique: la mémoire adaptative. L’Année psychologique, 114, 571-610.
    • Bonin, P., Gelin, M., & Bugaiska, A. (2014). Animates are better remembered than inanimates: Further evidence from word and picture stimuli. Memory & Cognition, 42, 370-382.
    • Borg, C., & de Jong, P. J. (2012). Feelings of disgust and disgust-induced avoidance weaken following induced sexual arousal in women. PloS ONE, 7, e44111.
    • Bugaiska, A., Grégoire, L., Camblats, A.M., Gelin, M., Méot, A. & Bonin, P. (sous presse). Animacy and attentional processes: Evidence from the Stroop task. The Quarterly Journal of Experimental Psychology.
    • Buss, D. M. (2014). Evolutionary Psychology: The New Science of the Mind (5th ed.). Psychology Press.
    • Buss, D. M. (2015) (Ed.), The Handbook of Evolutionary Psychology (2nd Ed.). New Jersey: Wiley.
    • Buss, D. M. (2016). Evolutionary psychology, The handbook of. In T.K. Shackelford, V.A. Weekes-Shackelford (eds.), Encyclopedia of Evolutionary Psychological Science. Springer International Publishing AG 2016.
    • Buss, D. M., & von Hippel, W. (2018). Psychological barriers to evolutionary psychology: Ideological bias and coalitional adaptations. Archives of Scientific Psychology, 6, 148-158.
    • Cartwright, J. H. (2001). Evolutionary Explanations of Human Behaviour. Howe: Routledge.
    • Caseras, X., Garner, M., Bradley, B. P., & Mogg, K. (2007). Biases in visual orienting to negative and positive scenes in dysphoria: An eye movement study. Journal of Abnormal Psychology, 116, 491-497.
    • Chapman, H. A., Kim, D. A., Susskind, J. M., & Anderson, A. K. (2009). In bad taste: Evidence for the oral origins of moral disgust. Science, 323, 1222-1226.
    • Chotpitayasunondh, V., & Douglas, K. M. (sous presse). The effects of “phubbing” on social interaction. Journal of Applied Social Psychology.
    • Clamp, A. (2001). Evolutionary Psychology. London: Hodder & Stoughton.
    • Clasen, M. (2017). Why Horror Seduces. Oxford University Press.
    • Cole, G. G., & Wilkins, A. J. (2013). Fear of holes. Psychological Science, 24, 1980-1985.
    • Confer, J. C., Easton, J. A., Fleischman, D. S., Goetz, C. D., Lewis, D. M.G., Perilloux, C., & Buss, D. M. (2010). Evolutionary psychology. Controversies, questions, prospects, and limitations. American Psychologist, 65, 110-126.
    • Darwin, C. (1859/2008). L’Origine des espèces: Au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. Flammarion.
    • Darwin, C. (1871/2015). La Descendance de l’homme et la sélection naturelle. CreateSpace Independent Publishing Platform.
    • Dawkins, R. (2015). Afterword. In D. M.Buss, The Handbook of Evolutionary Psychology (2nd Ed.) (pp.975-979). New Jersey: Wiley.
    • Dawkins, R. (2003). Le Gène égoïste. Paris: Odile Jacob.
    • Dunbar, R. (2008). Taking evolutionary psychology seriously. The Psychologist, 21, 304-306.
    • Dwyer, R. J., Kushlev, K., & Dunn, E. W. (2018). Smartphone use undermines enjoyment of face-to-face social interactions. Journal of Experimental Social Psychology, 78, 233-239.
    • DeBruine, L. M. (2009). Beyond “just-so stories”: How evolutionary theories led to predictions that non-evolution-minded researchers would never dream of. The Psychologist, 22, 930-931.
    • de Oca, B. M., & Black, A. A. (2013). Bullets versus burgers: Is it threat or relevance that captures attention? American Journal of Psychology, 126, 287-300.
    • DeLoache, J. S., & LoBue, V. (2009). The narrow fellow in the grass: Human infants associate snakes and fear. Developmental Science, 12, 201-207.
    • de Waal, F. B. M. (2002). Evolutionary psychology: The wheat and the chaff. Current Directions in Psychological Science, 11, 187-191.
    • DeWall, C. N., MacDonald, G., Webster, G. D., Masten, C. L., Baumeister, R. F., Powell, C., Combs, D., Schurtz, D. R., Stillman, T. F., Tice, D. M., & Eisenberger, N. I. (2010). Acetaminophen reduces social pain: Behavioral and neural evidence. Psychological Science, 21, 931-937.
    • Domaradzka, E., & Bielecki, M. (2017). Deadly attraction – Attentional bias toward preferred cigarette brand in smokers. Frontiers in Psychology, 8:1365.
    • Eisenberger, N.I., Lieberman, M.D., & Williams, K.D. (2003). Does rejection hurt? An fMRI study of social exclusion. Science, 302, 290-292.
    • Epley, N., Waytz, A., & Cacioppo, J. T. (2007). On seeing human: A three-factor theory of anthropomorphism. Psychological Review, 114, 864-886.
    • Eastwick, P. W. (2009). Beyond the Pleistocene: Using phylogeny and constraint to inform the evolutionary psychology of human mating. Psychological Bulletin, 135, 794-821.
    • Eastwick, P. W., & Durante, K. M. (2015). Adaptive workarounds. Current Opinion in Psychology, 1, 92-96.
    • Faucher, L., & Poirier, P. (2009). Philosophie: modularité et psychologie évolutionniste. (Chapitre 10). In J.-B. Van der Henst & H. Mercier (Eds.), Darwin en tête! L’évolution et les sciences cognitives (pp.275-308). Grenoble: Presses universitaires de Grenoble.
    • Faurie, C., & Raymond, M. (2016). Biologie évolutive humaine. In F. Thomas, T. Lefèvre, & M.Raymond (Eds.), Biologie évolutive (2e éd.) (pp.791-844). Bruxelles: De Boeck.
    • Fodor, J. (1986). La Modularité de l’esprit. Paris: Les Éditions de Minuit.
    • Gardner, W. L., Pickett, C. L., & Brewer, M.B. (2006). Social exclusion and selective Memory: How the need to belong influences memory for social events. Personality and Social Psychology Bulletin, 26, 486-496.
    • Gelin, M., Bonin, P., Méot, A., & Bugaiska, A. (2018). Do animacy effects persist in memory for context? The Quarterly Journal of Experimental Psychology, 71, 965-974.
    • Haselton, M.G. (2007). Error management theory. In R. F. Baumeister & K. D. Vohs (Eds.), Encyclopedia of Social Psychology (vol. I, pp.311-312). Thousand Oaks, CA: Sage.
    • Haselton, M.G., & Buss, D. M. (2000). Error management theory: A new perspective on biases in cross-sex mind reading. Journal of Personality and Social Psychology, 78, 81-91.
    • Haselton, M.G., & Nettle, D. (2006). The paranoid optimist: An integrative evolutionary model of cognitive biases. Personality and Social Psychology Review, 10, 47-66.
    • Haselton, M.G., Nettle, D., & Andrews, P. W. (2015). The evolution of cognitive bias. In D. M.Buss (2015) (Ed.), The Handbook of Evolutionary Psychology (2nd Ed.) (pp.724-746). New Jersey: Wiley.
    • Hawkley, L. C., & Cacioppo, J. T. (2010). Loneliness matters: A theoretical and empirical review of consequences and mechanisms. Ann. Behav.Med., 40(2). doi:10.1007/s12160-010-9210-8.
    • Herz, R. (2018). Pourquoi nous mangeons ce que nous mangeons. Quanto.
    • Hoefling, A., Likowski, K. U., Deutsch, R., Häfner, M., Seibt, B., Mühlberger, A., Weyers, P., & Strack, F. (2009). When hunger finds no fault with moldy corn: Food deprivation reduces food-related disgust. Emotion, 9, 50-58.
    • Ilardo, M.A., Moltke, I., Korneliussen, T. S., Cheng, J., Stern, A. J., Racimo, F. (...), & Willerslev, E. (2018). Physiological and genetic adaptations to diving in sea nomads. Cell, 173, 569-580.
    • Imaizumi, S., Furuno, M., Hibino, H., & Koyama, S. (2016). Trypophobia is predicted by disgust sensitivity, empathic traits, and visual discomfort. SpringerPlus, 5:1449.
    • Isbell, L. A. (2011). The Fruit, the Tree, and the Serpent – Why We See So Well. Harvard University Press.
    • Junghans, A. F., Hooge, I. T. C., Maas, J., Evers, C., & De Ridder, D. T. D. (2015). Un adulterated – children and adults’ visual attention to healthy and unhealthy food. Eating Behaviors, 17, 90-93.
    • King, K. B., & Reis, H. T. (2012). Marriage and long-term survival after coronary artery bypass grafting. Health & Psychology, 31, 55-62.
    • Klorman, R., Weerts, T. C., Hastings, J. C., Melamed, B. G., & Lang, P. J. (1974). Psychometric description of some specific-fear questionnaires. Behavior Therapy, 5, 401-409.
    • Kupfer, T. R., & Le, A. T. D. (2018). Disgusting clusters: trypophobia as an overgeneralised disease avoidance response. Cognition and Emotion, 32, 729-741.
    • Larson, C. L., Aronoff, J., & Stearns, J. J. (2007). The shape of threat: Simple geometric forms evoke rapid and sustained capture of attention. Emotion, 7, 526-534.
    • Lents, N. H. (2018). Les Spermatozoïdes tournent toujours à droite et autres bizarreries du corps humain. Paris: Larousse.
    • Li, N. P., van Vugt, M., & Colarelli, S. M. (2018). The evolutionary mismatch hypothesis: Implications for psychological Science. Current Directions in Psychological Science, 27, 38-44.
    • LoBue, V. (2010). What’s so scary about needles and knives? Examining the role of experience in threat detection. Cognition and Emotion, 24, 80-87.
    • LoBue, V. & DeLoache, J.S. (2008). Detecting the snake in the grass: Attention to fear-relevant stimuli by adults and young children. Psychological Science, 19, 284-289.
    • LoBue, V., Rakison, D. H., & DeLoache, J. S. (2010). Threat perception across the life span: Evidence for multiple converging pathways. Current Directions in Psychological Science, 19, 375-379.
    • Maner, J. K., & Kenrick, D. (2010). When Adaptations Go Awry: Functional and Dysfunctional Aspects of Social Anxiety. Social Issues and Policy Review, 4, 111-142.
    • Matsumoto, E. (2010). Bias in attending to emotional facial expressions: Anxiety and visual search efficiency. Applied Cognitive Psychology, 24, 414-424.
    • Miller, A. S., & Kanazawa, S. (2008). Why Beautiful People Have More Daughters. Perigee Books.
    • Mineka, S., Davidson, M., Cook, M., & Keir, R. (1984). Observational conditioning of snake fear in rhesus monkeys. Journal of Abnormal Psychology, 93, 355-372.
    • Mogg, K., Bradley, B. P., Field, M., & De Houwer, J. (2003). Eye movements to smoking-related pictures in smokers: relationship between attentional biases and implicit and explicit measures of stimulus valence. Addiction, 98, 825-836.
    • Nairne, J. S. (2010). Adaptive Memory: Evolutionary constraints on remembering. In B. H. Ross (Ed.), The Psychology of Learning and Motivation (vol.53), (pp.1-32). Burlington: Academic Press.
    • Nairne, J. S. (2016). Adaptive memory: Fitness-relevant “tunings” help drive learning and remembering. In D. C. Geary & D. B. Berch (Eds.), Evolutionary Perspectives on Child Development and Education (pp.251–269). Springer International Publishing.
    • Nairne, J. S., VanArsdall, J. E., & Cogdill, M. (2017). Remembering the living: Episodic memory is tuned to animacy. Current Directions in Psychological Science, 26, 22-27.
    • Nairne, J. S., VanArsdall, J. E., Pandeirada, J. N. S., Cogdill, M., & LeBreton, J. M. (2013). Adaptive memory: The mnemonic value of animacy. Psychological Science, 24, 2099-2105.
    • Nesse, R. M. (2001). The smoke detector principle. Natural selection and the regulation of defensive responses. Annals of the New York Academy of Sciences, 935, 75-85.
    • Nelson, L. D., & Morrison, E. L. (2005). The symptoms of resource scarcity: Judgments of food and finances Influence preferences for potential partners. Psychological Science, 16, 167-173.
    • New, J., Cosmides, L. & Tooby, J. (2007). Category-specific attention for animals reflects ancestral priorities, not expertise. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104, 16593-16603.
    • Nummenmaa, L., Hietanen, J. K., Calvo, M.G., & Hyönä, J. (2011). Food catches the eye but not for everyone: a BMI-contingent attentional bias in rapid detection of nutriments. PLoS ONE 6: e19215.
    • Öhman, A. (2009). Of snakes and faces: An evolutionary perspective on the psychology of fear. Scandinavian Journal of Psychology, 50, 543-552.
    • Öhman, A., Flykt, A. & Esteves, F. (2001). Emotion drives attention: Detecting the snake in the grass. Journal of Experimental Psychology: General, 130, 466-478.
    • Onfray, M. (2015). Cosmos. Paris: Flammarion.
    • Orians, G. H. (2014). Snakes, Sunrises, and Shakespeare. Chicago: The University of Chicago Press.
    • Otterbring, T. (2018). Healthy or wealthy? Attractive individuals induce sex-specific food preferences. Food Quality and Preference, 70, 11-20.
    • Park, J. H., Schaller, M., & Crandall, C. S. (2007). Disease-avoidance mechanisms and the stigmatization of obese people. Evolution and Human Behavior, 28, 410-414.
    • Pelham, B. (2019). Evolutionary Psychology. Genes, Environments, and Time. London: Red Globe Press.
    • Piech, R. M., Pastorino, M.T., & Zald, D. H. (2010). All I saw was the cake. Hunger effects on attentional capture by visual food cues. Appetite, 54, 579-582.
    • Pinker, S. (1999). L’Instinct du langage. Paris: Odile Jacob.
    • Pinker, S. (2005). Comprendre la nature humaine. Paris: Odile Jacob.
    • Polák, J., Sedláčková, K., Nácar, D., Landová, E., & Frynta, D. (2016). Fear the serpent: A psychometric study of snake phobia. Psychiatry Research, 242, 163-168.
    • Prokop, P., & Fančovičova, J. (2017). Animals in dangerous postures enhance learning, but decrease willingness to protect animals. EURASIA Journal of Mathematics Science and Technology Education, 13, 6069-6077.
    • Przybylski, A. K., & Weinstein, N. (2012). Can you connect with me now? How the presence of mobile communication technology influences face-to-face conversation quality. Journal of Social and Personal Relationships, 30, 237-246.
    • Raymond, M. (2012). Pourquoi je n’ai pas inventé la roue et autres surprises de la sélection naturelle. Paris: Odile Jacob.
    • Raymond, M., & Thomas, F. (2013). Une introduction à la sélection naturelle (Chapitre 1). In F. Thomas & M.Raymond (Eds.), Santé, médecine et sciences de l’évolution: Une introduction (pp.15- 45). Paris: De Boeck-Solal.
    • Raymond, M., & Thomas, F. (2016). Avant-propos 2. In P. Plusquelle, D. Paquette, F. Thomas, & M.Raymond (Eds), Les troubles psy expliqués par la théorie de l’évolution (pp.XV–XVI). Comprendre les troubles de la santé grâce à Darwin. Louvain-la-Neuve: DeBoeck.
    • Rosano, M. (2013). Environment of evolutionary adaptedness (EEA). In A.L.C. Runehov & L. Oviedo (Eds), Encyclopedia of Sciences and Religions. Springer, Dordrecht.
    • Røskaft, E., Bjerke, T., Kaltenborn, B., Linnell, J. D. C., & Andersen, R. (2003). Patterns of self-reported fear towards large carnivores among the Norwegian public. Evolution and Human Behavior, 24, 184-198.
    • Ryan, S., Oaten, M., Stevenson, R. J., & Case, T. I. (2012). Facial disfigurement is treated like an infectious disease. Evolution and Human Behavior, 33, 639-646.
    • Sastre, P. (2018). Comment l’amour empoisonne les femmes. Anne Carrière.
    • Sawada, R., Sato, W., Toichi, M., & Fushiki, T. (2017). Fat content modulates rapid detection of food: A visual search study using fast food and japanese diet. Frontiers in Psychology, 8:1033.
    • Schaller, M., & Duncan, L. A. (2007). The behavioral immune system: Its evolution and social psychological implications. In J. P. Forgas, M.G. Haselton, & W. von Hippel (Eds.), Evolution and the Social Mind: Evolutionary Psychology and Social Cognition (pp.293-307). New York: Psychology Press.
    • Schaller, M., & Park, J. H. (2011). The behavioral immune system (and why it matters). Current Directions in Psychological Science, 20, 99-103.
    • Seligman, M.E. (1971). Phobias and preparedness. Behavior Therapy, 2, 307–320.
    • Souchet, J., & Aubret, F. (2016). Revisiting the fear of snakes in children: The role of aposematic signalling. Scientific Reports, 6, 37619.
    • Spoor, J. R., & Williams, K. D. (2007). The evolution of an ostracism detection system. In J. P. Forgas, M.G. Haselton, & W. von Hippel (Eds.), Sydney Symposium of Social Psychology. Evolution and the Social Mind: Evolutionary Psychology and Social Cognition (pp.279-292). New York, NY, US: Routledge/Taylor & Francis Group.
    • Štefaniková, S., & Prokop, P. (2015). Do we believe pictures more or spoken words? How specific information affects how students learn about animals. Eurasia Journal of Mathematics, Science & Technology Education, 11, 725-733.
    • Stevenson, R. J., & Repacholi, B. M. (2005). Does the source of an interpersonal odour affect disgust? A disease risk model and its alternatives. European Journal of Social Psychology, 35, 375-401.
    • Stewart-Williams, S. (2018). The Ape that Understood the Universe. How the Mind and Culture Evolve. New York: Cambridge University Press.
    • Toepel, U., Knebel, J.-F., Hudry, J., le Coutre, J., & Murray M.M. (2009). The brain tracks the energetic value in food images. NeuroImage, 44, 967-974.
    • Tomarken, A. J., Sutton, S. K., & Mineka, S. (1995). Fear-Relevant Illusory Correlations: What Types of Associations Promote Judgmental Bias? Journal of Abnormal Psychology, 104, 312-326.
    • Tooby, J., & Cosmides, L. (1992). The psychological foundations of culture. In J. Barkow, L. Cosmides, & J. Tooby (Eds.), The Adapted Mind (pp.19-136). New York: Oxford University Press.
    • Tooby, J., & Cosmides, L. (2015). Conceptual foundations of evolutionary psychology. In D. M.Buss (2015) (Ed.), The Handbook of Evolutionary Psychology (2ndEd.) (pp.5-67). New Jersey: Wiley.
    • Tskhay, K. O., Wilson, J. P., & Rule, N. O. (2016). People use psychological cues to detect physical disease from faces. Personality and Social Psychology Bulletin, 42, 1309-1320.
    • Twenge, J. M., Baumeister, R. F., Tice, D. M., & Stucke, T. S. (2001). If you can’t join them, beat them: Effects of social exclusion on aggressive behavior. Journal of Personality and Social Psychology, 81, 1058-1069.
    • Van Dillen, L. F., Papies, E. K., & Hofmann, W. (2013). Turning a blind eye to temptation: How cognitive load can facilitate self-regulation. Journal of Personality and Social Psychology, 104, 427-443.
    • Viciana, H., Cova, F., Baumard, N., & Morin, O. (2018). De la coopération à la culture. In T. Collins, D. Andler, & C.Tallon Baudry (Eds.), La Cognition: du neurone à la société (pp.563-597). Gallimard.
    • Williams, K. D., & Sommer, K. (1997). Social ostracism by one’s coworkers: Does rejection lead to loafing or compensation. Personality and Social Psychology Bulletin, 23, 693-706.
    • Williams, K. D., Cheung, C. K. T., & Choi, W. (2000). CyberOstracism: Effects of being ignored over the Internet. Journal of Personality and Social Psychology, 79, 748-762.
    • Wittrochdt, M.T., Sawka, M.N., Mizelle, J. C., Wheaton, L. A., & Millard-Stafford, M.L. (2018). Exercise-heat stress with and without water replacement alters brain structures and impairs visuomotor performance. Physiological Reports, 6(16), e13805.
    • Workman, L., & Reader, W. (2014). Evolutionary Psychology. An introduction (3rdEdition). Cambridge University Press.
    • Yamada, Y., & Sasaki, K. (2017). Involuntary protection against dermatosis: A preliminary observation on trypophobia. BMC Res Notes, 10:658
    • Yorzinski, J. L., Penkunas, M.J., Platt, M.L., & Coss, R. C. (2014). Dangerous animals capture and maintain attention in humans. Evolutionary Psychology, 12, 534-548.
Pourquoi avons-nous encore peur des serpents ? Apport de la psychologie évolutionniste à la compréhension de certains biais comportementaux (2024)
Top Articles
Latest Posts
Recommended Articles
Article information

Author: Ray Christiansen

Last Updated:

Views: 5523

Rating: 4.9 / 5 (69 voted)

Reviews: 84% of readers found this page helpful

Author information

Name: Ray Christiansen

Birthday: 1998-05-04

Address: Apt. 814 34339 Sauer Islands, Hirtheville, GA 02446-8771

Phone: +337636892828

Job: Lead Hospitality Designer

Hobby: Urban exploration, Tai chi, Lockpicking, Fashion, Gunsmithing, Pottery, Geocaching

Introduction: My name is Ray Christiansen, I am a fair, good, cute, gentle, vast, glamorous, excited person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.